FCG - La Résurrection
par Monique Blanchet
Au bord du dépôt de bilan la saison dernière (1.5 million d'euros de déficit),
relégué en Pro D2 après une quinzaine d'années passées en Elite,
une équipe réduite en peau de chagrin,
une ambiance à couteaux tirés,
plus de supporters,
Le FC Grenoble était donné pour mort.
Aujourd'hui, il caracole presque en tête de son. Championnat.
Avec la remontée en Elite à portée de main. Un miracle.
Alain Étievent - Président du FCG
Son père tenait le Cintra, une célèbre brasserie du centre de Grenoble. Le repère des joueurs de rugby. Juste derrière le siège du FCG. Autant dire que le rugby, c'est sa vie. Il est sur les terrains depuis 1947. Spectateur, avec ses quatre frères. Puis joueur. Pas longtemps. Sa profession est trop exigeante: expert comptable. II ne s'éloigne toutefois pas du monde de l'ovalie, avec un père dans les instances dirigeantes du FCG et un fils qui y joue. En août 2001, le trou noir dans l'histoire centenaire du rugby grenoblois, la crise du FCG fait la une des journaux. Le rugby revient alors au premier plan. Le deuxième jour de ses vacances, il reçoit un coup de fil «il n'y a que toi qui peux prendre le club». II rentre à Grenoble. Travaille. Présente un projet. Accepté. Il prend la tête du FCG en septembre 2001. Pour le meilleur et pour le pire. Le pire est passé. Le meilleur reste à venir. Il se veut homme de parole, de transparence, de collaboration et d'union.
Alain Étievent croît en ses hommes et se vante «d'avoir la plus belle équipe de Pro D2.
L'Essentiel : Après le KO en 2001, le miracle en 2002 ?
Alain Étievent : Oui, c'est presque ça. On sent une volonté de réussir tant au niveau de l'équipe sportive que de l'équipe dirigeante.
À qui doit on attribuer l'origine de ce miracle ?
Trois réponses : les difficultés que nous avons rencontrées nous ont amenés à prendre des jeunes issus du centre de formation, centre qui compte de grands talents. Deuxièmement, la venue d'un homme qui s'appelle Jacques Delmas le patron et le seul patron du terrain. Un homme qui a mis en place un jeu qui s'adapte parfaitement aux forces de l'équipe. Enfin, une équipe très soudée qui a retrouvé une cohésion.
Quel est votre rôle au sein du club ?
Je suis président du directoire. J'ai le rôle d'un manager. J’essaie de gérer le club correctement et de faire adhérer les gens à mon projet. Je donne tout ce que je peux. Je vais voir les joueurs tous les soirs et j'assiste à tous leurs matchs.
Certains disent que vous vous efforcez de "dédroitiser" le FCG...
Disons plutôt « dépolitiser », le terme serait plus correct. C'est regrettable que le FCG ait été perçu comme un club ayant des fins politiques. Il est important de revenir à des bases totalement saines et transparentes auprès de l'ensemble de nos partenaires, politiques ou non. il n'y a qu'une seule politique dans un club sportif, c'est la politique sportive. il ne peut pas y en avoir d'autres.
Pourquoi avoir nommé Willy Taofifénua (ancien joueur et adjoint de l'entraîneur) manager général en janvier 2002 ?
J'ai essayé de mettre en place un club qui soit vraiment professionnel, ce qui implique une structure juridique, un raisonnement à moyen terme et des résultats excédentaires. C'est ainsi que j'ai restructuré le directoire mais également la structure interne dans laquelle il manquait le manager général que l'on retrouve dans tous les grands clubs sportifs. Willy arrivait en fin d'activité sportive ; il remplissait les trois exigences : satisfaire les demandes de l'entraîneur en matière de recrutement, jouer le rôle d'un DRH auprès des joueurs et être un homme de qualité reconnu localement, voire régionalement. Un des rôles moraux du club, c'est aussi de s'occuper des anciens joueurs qui ont permis de porter haut le nom du FCG.
N'y avait il pas une histoire de bisbille avec l'entraîneur ?
Pas du tout. Cest ce qui a été dit parce qu'il y avait eu quelques petits problèmes d'adaptation mais qui n'avaient rien à voir.
Quelle est la situation financière du FCG aujourd'hui ?
Nous avons eu récemment une réunion à Toulouse, il y a dix jours, dans laquelle nous avons présenté à la Fédération la situation et le budget pour la fin juin 2002 du FCG. Le budget fait apparaître un résultat excédentaire de 800 kF. Nous sommes donc partis dans une excellente démarche et la volonté de réussir.
Après un Patrick Sébastien à Bourgoin, n'y aura t il pas de Michel Drucker à Grenoble ?
Non [rires] , il n'y aura pas de Michel Drucker à Grenoble ! C'est excellent... [rires] Je souhaite que ça marche pour Bourgoin. Mais dans ce club, il y a des hommes de caractère, et il faudra qu'ils s'entendent.
Elle vous dérange cette équipe de Bourgoin-Jallieu ?
Non pas du tout, pour deux raisons majeures. Premièrement, nous ne sommes pas dans le top 16, Bourgoin l'est. Nous ne pouvons donc pas nous comparer à cette équipe. Deuxièmement, Bourgoin est vraiment tourné et axé sur le Lyonnais.
Est ce que Grenoble peut devenir le grand club fanion des Alpes ?
C'est notre volonté. Les Alpes sont une terre de rugby. Grenoble est sans aucun doute le club phare des Alpes. Il doit aider les autres clubs alpins. Nous effectuons des entraînements tournants, de ville en ville, et nous invitons 2 à 3 équipes de rugby à chaque match, soit une centaine de personnes. Nous avons la possibilité de bénéficier de joueurs d'exception en étant en relation avec les autres clubs alpins. Tout doit être basé sur une relation d'échanges.
Comment se fait il que Grenoble, l'un des plus grands centre de formation français, ait favorisé, depuis 15 ans, les joueurs étrangers au détriment des espoirs locaux ?
C'est une anomalie. Actuellement notre seule politique, c'est de commencer par faire jouer les jeunes que nous formons plutôt que d'aller chercher des joueurs en dehors de l'Hexagone. Je crois que l'ancienne équipe ne s'était pas aperçue qu'il y avait des joueurs de très grande qualité au centre de formation.
Est ce qu'il y a eu une évasion des jeunes talents isérois ?
La plupart des clubs de rugby français ont des joueurs qui sortent du centre de formation grenoblois, certains sont même internationaux.
Cette descente douloureuse en D2 ne va t elle pas rendre au FCG son identité ?
Oui, c'est exactement ça ! Le gouffre était tel que tout le monde s'est alors soudé pour que le club reparte sur de bonnes bases, avec des Grenoblois. Cela a donné une dynamique au club. Aujourd'hui, l'immobilisme a disparu. C'est toute une région qui est derrière ce club, qui essaie de retrouver le lustre d'antan. Les résultats actuels vont au delà de tout ce qu'on pouvait espérer !
La remontée en Élite est elle à portée de main ?
Oui. Tout le monde l'espère, les supporters en premier. Ils sont de nouveau présents dans les gradins. Ils étaient 1000 en début de saison, 10000 au dernier match. Il nous reste néanmoins huit matchs à jouer, il faut donc faire un sans faute.
En espérant aussi que Brive fasse un faux pas !
Oui, personne n'est à l'abri d'une défaillance, même le leader Mont de Marsan. Seuls les deux premiers montent. Nous sommes actuellement troisième... (NDLR : fin mars 2002)
Est ce une catastrophe si le FCG reste en D2 ?
Non pas du tout. Il y a aura de la déception, certes, mais cela nous permettra de mieux asseoir le club. L'équipe de l'an prochain sera alors structurée pour remonter dans le top 16.
Mais si le FCG reste en Pro D2, n'y aura t il pas une nouvelle fuite des joueurs ?
Il est vrai qu'un certain nombre de joueurs veulent jouer dans le top 16. Il faut toutefois être prudent. Les agents ont tendance à pousser les jeunes dans cette voie, mais sont ils aujourd'hui assez armés? Il peut y avoir danger pour certains joueurs qui n' auront pas la sagesse de la réflexion.
Le Centre de formation enfin reconnu à sa juste valeur
C'EST L'UN DES PREMIERS CENTRES DE FORMATION FRANÇAIS et l'un des plus prestigieux. Créé en 1988, il fonctionne, sur la base d'un internat accueillant une vingtaine de sportifs de 18 â 21 ans, Là formation et l'internat sont entièrement gratuits. « L'esprit a toujours été le même, commente Jean Marie Ostian président du centre de formation, celui d'aider les jeunes à vivre leur passion qui est le rugby tout en les aidant à assurer leur formation professionnelle ».
Basé sur un cursus de quatre ans, le centre accueille prioritairement des jeunes de Grenoble et des Alpes. Les jeunes sont répartis dans les établissements scolaires et universitaires de la région grenobloise où ils suivent un cursus normal. « Nous sommes très exigeants concernant les résultats scolaires de nos stagiaires. Le rugby est un sport à risques. De belles carrières peuvent être brisées par une blessure. Il faut donc penser à l'après rugby ». Florent, étudiant en EPS approuve : « Je pense d'abord à mes études pour assurer mon avenir. Un métier d'abord, professionnel de rugby ensuite ». Des cours de soutien scolaire sont même organisés pour les jeunes en difficulté. Le rugby occupe le reste du temps. Entraînements et séances de musculation, le soir. L'emploi du temps est très chargé. Le Centre assure un suivi individuel sur le plan technique, physique, psychologique et diététique. « C'est difficile de faire la fête, avoue Florent, il faut être très rigoureux et avoir une hygiène de vie très stricte ». Le Centre est enfin reconnu à sa juste valeur, puisque la nouvelle politique du FCG est tournée vers les jeunes et la formation. La fin d’une frustration pour les dirigeants. « Nous étions frustrés de voir que des jeunes de talents n’étaient pas intégrés dans l’équipe Élite et étaient contraints de se tourner vers d’autres clubs français ou étrangers. Nous avons toutefois toujours cru aux valeurs de la formation. Elles sont reconnues aujourd'hui. De nombreux joueurs du centre ont été ou sont internationaux. Geoffroy Messina et Vincent Clerc par exemple, qui évoluent dans l’équipe de Grenoble, sont internationaux ». C'est d'autant plus motivant, pour les stagiaires : « Voir aujourd’hui évoluer en Élite une dizaine de copains avec qui on jouait l'année dernière en junior, ça motive. On se dit pourquoi pas nous ? Jusque là on ne donnait pas cette chance aux jeunes issus du centre ». Une journée de détection est organisée chaque année au mois d'avril. A ne pas manquer pour ceux qui veulent lier leur passion du rugby à leur avenir professionnel.
Jacques Delmas - Entraîneur du FCG - "Un œil de maquignon"
Certains disent qu'il fait des miracles. D'autres que c'est un entraîneur exceptionnel. Lui s'attache à s'adapter aux joueurs grenoblois tout en leur inculquant sa philosophie du jeu, un jeu de mouvement dont le maître-mot est "enthousiasme".
C'EST UN MÉDITERRANÉEN. Et tout ce qui va avec... L'accent d'abord. Les coups de gueule, ensuite. « Je m'exprime beaucoup avec les mains. Je suis provocateur. Ça peut bloquer certains, mais quand il y a du respect, on peut tout se dire ». C'est un ancien joueur de Narbonne, un peu frustré. Il a abandonné sa carrière sportive pour son métier. Son «bébé» de laboratoire ortho dentaire. « J'ai laissé de côté mes meilleures années de rugby pour un métier. J'ai abandonné le rugby au moment où j'en comprenais le mieux les subtilités, regrette-t-il. Je me suis beaucoup investi dans ce laboratoire avant de me rendre compte que ce métier était à l'opposé de ce que j'étais. Tant qu'on peut jouer il faut le faire ».
Alors tout ce qu'il n'a pas pu vivre, il le fait vivre à ses joueurs. «Je suis toujours tombé sur des entraîneurs dont la philosophie du jeu n'était pas la mienne. La façon dont moi j'appréhendais le jeu, j'essaie aujourd'hui de l'inculquer à mes joueurs. Je ne sais pas si c'est la bonne, mais ce que je veux avant tout c'est que chacun puisse s'exprimer sur le terrain. La notion de plaisir ne doit pas être omise ». Dans le jeu « ambitieux » et de «mouvement» de Jacques Delmas, le joueur est décisionnaire. « C'est lui l'acteur. Je lui laisse l'entière possibilité de s’exprimer. C'est ça ma définition du jeu : créer de l'enthousiasme à partir de la dynamique de jeu pour que les joueurs aient complètement envie de s'investir dans ce jeu. Les joueurs de Grenoble sont tout à fait réceptifs à cette approche ». Il a coupé les ponts avec la tradition grenobloise qui donnait la priorité aux avants. « Je n'ai surtout pas axé le jeu sur des joueurs prioritaires mais sur un rééquilibrage du jeu "avant arrière" tout en cherchant à dynamiser au maximum afin que tout le monde participe ». Au début « c'était une bouillie de match, sans corps, sans fil conducteur. Puis on a mieux senti les choses. On a mis les ingrédients qu'il fallait. La sauce commence à prendre ».
Il a entraîné Narbonne, qui évolue en première division. Et puis Périgueux, qu'il a fait monter de deuxième en première division. « Première ou deuxième division, ça ne me dérange pas, du moment que le club a l'ambition de construire quelque chose ». Ça tombe bien, le FCG a beaucoup d'ambitions. Surtout celle de remonter rapidement en Élite. C'est le projet du président Étievent qui met tous les moyens pour ce faire et qui ne tarit pas d'éloges son entraîneur « C'est un entraîneur exceptionnel, nous sommes en union complète ». Jacques Delmas affirme quant à lui être « très observateur » vis â vis de l'équipe dirigeante et avoir trouvé un allié en la personne de Gilles Cassagne (entraîneur des arrières). « On travaille en duo. C'est souvent de moi dont on parle mais nous prenons les décisions ensemble ». Son métier d'entraîneur, il le juge « difficile, surtout quand, comme moi, on ne sort pas de la filière, de l'establishment ». Un métier dans lequel on trouve « énormément d'opportunistes et d'imposteurs ». Pour être un bon entraîneur, il faut selon lui « savoir s'adapter aux joueurs, bien gérer l'aspect physique, technique et psychologique. Savoir sentir lorsqu'un joueur n'est pas bien dans sa tête, s'il y a baisse de régime, ou lassitude, ou manque de confiance. C'est avoir un œil de maquignon en fait ! ». Il juge son équipe très positivement « Un groupe enthousiaste qui a du talent et un potentiel énorme, qui a envie d'avancer et d'apprendre ». Seul ombre au tableau, sa vie de famille mise sur le banc de touche. Sa femme et ses trois enfants habitent toujours Périgueux. Il est resté trois mois sans les voir. Son petit dernier de 18 mois ne l’a pas reconnu. « Le soir je me retrouve seul, ce n'est pas facile. Le regard et le jugement de ma femme me manquent. Grenoble est une ville très dure, très froide. Il faut gagner le respect des gens. Mais je commence à trouver mes repères ».Tant mieux pour Grenoble !
Julien Frier, la voix de l'équipe
SON VOEU LE PLUS CHER, C'EST DE PORTER LE MAILLOT DE L'ÉQUIPE DE FRANCE. «Je mettrai toutes les chances de mon côté pour le porter un jour». À 27 ans, cet Isérois du Nord (né à Vienne, il habite Bourgoin) est pour l'heure le capitaine du FCG et le meilleur joueur de la saison 2000 2001, selon les supporters. Il a pourtant commencé sa carrière professionnelle à Bourgoin, en 1996. Dans l'équipe Élite. Il y a joué quatre ans. Avant que quelques tensions ne se développent avec son entraîneur, Michel Couturas. Poussé à partir, il saisit l'opportunité que lui offre le FCG. Il rejoint l'équipe grenobloise au début de la saison 2000 2001. L'année de toutes les galères pour le club. « On a eu des moments très difficiles. Je n'ai pas envie de les juger, ni d'en parler ». Il est tourné vers l'avenir : la remontée en première division. « La montée, elle est là. Tous les dimanches ont fait tout pour rejoindre l'Élite. La place de Grenoble est en haut ». Il est confiant, Julien Frier, mais aussi prudent. La pression est grande. « Le championnat est très dur physiquement et mentalement. Il est aussi très long. Avec notre troisième place, on a la pression tous les dimanches. Il y a très peu de moments de relâche pour s'évader vers d’autres choses que le rugby ».
Ce troisième ligne vit à fond le rugby. Il avoue avoir mis sa vie de famille entre parenthèses « parce que j'ai la chance de gagner ma vie avec ma passion. Une carrière de rugby est à la fois longue et très courte. Je veux mettre tous les atouts de mon côté. J'ai de l'ambition. Certainement de retrouver l'Élite rapidement ». II a mis aussi sa vie professionnelle entre parenthèses. « je sacrifie mon travail. J'ai quand même un petit boulot de commercial à temps partiel qui me permet de rester en contact avec la vie active. Je pense aussi à mon après carrière. Je sais que je ne serai pas surpris quand il faudra me lever à 6h du matin pour gagner ma croûte ». Sa place de capitaine, il la joue à fond aussi « Je suis le porte-pa role du groupe, la voix directive sur le terrain. C’est parfois difficile à gérer. Il faut savoir se remettre en cause. On ne peut faire passer les messages que si on montre l'exemple. Capitaine, c'est une pression supplémentaire ».
Il est content de son équipe. « Il y a vraiment une très bonne équipe et une vie de groupe très agréable. L'amalgame entre jeunes et anciens joueurs est très positif. C 'est un des ingrédients de notre réussite. Et Jacques (Delmas) et Gilles (Cassagne) ont changé la philosophie du jeu. Grenoble était jusqu’à fixé sur un jeu d’avants. Ils se sont adaptés aux capacités des joueurs. Le jeu aujourd'hui plus tourné vers le jeu de passe que vers le défi physique ». Lui qui a tant envie de retrouver l'Élite, que fera-t-il si le FCG reste en Pro D2 ? « On verra ! ». « Il faut avoir la sagesse de la réflexion » lui répondrait le président Étievent !